Conférence : L'opérateur "inter"... et les autres


Le thème retenu pour les journées CLE formation des 24-25 septembre 2010 à l'Alliance française de Rio est celui des "interactions". Ce concept est resté central en didactique des langues-cultures (DLC) pendant les trois dernières décennies: on en connaît l'importance dans l'approche communicative, qui se donne comme objectif langagier la formation des apprenants à l'interaction langagière. Simultanément s'était imposé aussi comme objectif culturel celui de la dite "approche interculturelle", et comme conception des mécanismes cognitifs d'apprentissage, l'hypothèse constructiviste de l'"interlangue".
La présence pendant une même période d'un même opérateur logique de référence dans ces trois domaines fondamentaux - l'opérateur inter- - ne peut être un effet du hasard. On s'interrogera sur la cause et le sens de cette coïncidence historique. Je fais pour ma part l'hypothèse qu'ils se situent au moins en partie au niveau idéologique, à savoir dans l'individualisme contemporain : ces trois concepts d'interaction, d'interculturel et d'interlangue ont en effet en commun d'amener à penser la problématique de leur domaine sur la base du contact de la chaque apprenant avec son environnement personnel.
Il n'est plus possible de se limiter à ce seul opérateur inter- dans la réflexion et la recherche en DLC, pour deux fortes raisons:
1) Les évolutions récentes dans la discipline ont en mis en avant deux autres opérateurs désormais indispensables: pluri- et co-. C'est, dans le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL), les concepts de "compétence plurilingue" et "compétence pluriculturelle"; et, exigée par la perspective actionnelle proposée dans ce même texte, les concepts de "co-action" et de "compétence co-culturelle".
Dans tous ces nouveaux concepts, on voit que l'on passe de la dimension individuelle à la dimension collective, passage déjà initié auparavant en DLC par le concept de "co-construction du sens" dans le domaine langagier, et, dans le domaine cognitif, par le concept de "socio-constructivisme", qui est "co-constructivisme social".
Enfin, la perspective actionnelle implique la mise en oeuvre de la pédagogie du projet, laquelle implique la mise en oeuvre d'une nouvelle forme d'action, la "pro-action", et, parce que l'apprentissage est en lui-même un projet, les auteurs du CECRL considèrent logiquement que les apprenants autonomes "sont ceux qui apprennent avec anticipation (de manière proactive) en prenant des initiatives pour planifier, structurer et exécuter leurs propres opérations d’apprentissage" (p. 110).
2) La prise de consciente de la complexité des publics, objectifs et environnements d'enseignement-apprentissage des langues-cultures amène à estimer que les deux opérateurs historiques antérieurs - trans et méta - ont tout aussi leur pertinence, comme le montre le fait que l'on ait jamais vraiment abandonné en DLC, dans le domaine langagier, les activités métalinguistiques (réflexion sur la langue, ou "conceptualisation" grammaticale et lexicale), et le fait que l'on assiste depuis une dizaine d'années, dans les manuels de FLE et les propositions de dossiers didactiques sur Internet, à une forte montée en puissance de thématiques transculturelles liées à la mondialisation (l'écologie, le commerce équitable, le développement durable, etc.).
Il y a bien eu en DLC un opérateur "inter" dominant, et toujours très actif. Mais il y a aussi tous les autres opérateurs, qu'il faut désormais prendre simultanément en compte.

Rio 2010 : Christian Puren